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TOUSSAINT LOUVERTURE.

adrienne.

Craindre de se revoir ?Se revoir et se craindre !
Albert ! l’enfant l’a dit, lui qui ne sait rien feindre.

Elle serre convulsivement la main d’Albert dans
ses mains enchaînées.

Est-il vrai ?… Trompe-moi… Non, plutôt, dis-moi tout.
Si tu dois me tuer ; que ce soit d’un seul coup.

albert, agenouillé et regardant Adrienne.

Adrienne, Adrienne ! oh ! pourquoi d’un reproche
Empoisonner ainsi l’instant qui nous rapproche ?

adrienne, lui montrant du doigt les voûtes souterraines.

Ah ! si le sort devait nous rapprocher un jour,
Était-ce ainsi, mon frère, et dans un tel séjour ?
Moi dans ce noir cachot où l’on m’enterre vive,
Et toi l’ami des blancs dont je suis la captive !
Quoi ! tu ne rougis pas d’être libre en ces lieux,
où la main des tyrans nous obscurcit nos cieux !

Pendant ces derniers mots d’Adrienne, on voit Salvador entrer en se glissant dans le souterrain par une autre porte, et, caché à demi par l’ombre d’un pilier, il écoute.
albert.

Pourquoi contre les blancs ces anciennes colères ?
Un préjugé de moins, ces tyrans sont nos frères.

adrienne, montrant ses mains enchaînées.

Ta sœur est dans les fers, et c’est toi qui le dis !

albert.

Dieu ! j’oubliais ! pardonne ! Oh ! oui, je les maudis !
Périssent mille fois ceux qui la profanèrent !
Honte et mort aux cruels dont les mains l’enchaînèrent !
Quoi ! sa beauté, ses pleurs n’ont pu les désarmer !
Quel crime as-tu commis ?

adrienne.

Quel crime as-tu commis ?Le crime de t’aimer !