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Ainsi sans lois, sans arts, sans culte, sans patrie,
Privés des doux travaux qui fécondent la vie,
Les hommes, fatigués de leur morne loisir,
Traînaient des jours affreux sans espoir, sans désir ;
Des nobles passions, aliment de nos âmes,
Dans leurs cœurs assoupis ne sentaient plus les flammes ;
Une seule pensée, un morne sentiment,
De leurs esprits glacés immuable tourment,
Semblable au poids affreux que dans l’horreur d’un rêve
De son sein qu’il oppresse un malade soulève,
La crainte, remplaçant liens, patrie, amour,
Régnait seule a jamais sur leur dernier séjour,
Sevrait les tendres fruits des baisers de leurs mères,
Arrachait la beauté des deux bras de leurs pères,
Et des hommes frappés d’une muette horreur
Changeait l’amour en haine et la crainte en fureur.
Tantôt on les voyait dans un sombre silence
Traîner de leurs longs jours la stupide indolence,
Assis sur les débris d’un temple profané,
Les bras croisés, l’œil fixe et le front incliné ;
Tantôt, fuyant en vain leur vague inquiétude,
Chercher des souterrains l’horrible solitude,
Et, maudissant du jour l’inutile flambeau,
S’ensevelir vivants dans la nuit du tombeau ;
Puis, saisis tout à coup d’un bizarre délire,
S’abandonner sans cause aux accès d’un fou rire,
Se chercher, s’embrasser, pousser d’horribles cris,
Se couronner de fleurs, danser sur des débris ;
Comme pour dérober une heure à leurs supplices,
Se hâter d’inventer de nouvelles délices,
D’un regard impudique outrager la beauté,
Mêler les ris, les pleurs, la mort, la volupté,
Et puiser dans le sein de leur fatale ivresse
Un bonheur plus affreux encor que leur tristesse.