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cœurs. Les jours de joie, Régina voulait courir toute la matinée avec moi sur le sable du lac pour répandre son ivresse dans toute cette belle nature. Les jours de tristesse elle me fuyait et me boudait comme si j’avais été coupable des tergiversations du sort et des scrupules de délicatesse de son amant. Je suivais ses caprices sans les contredire et en les plaignant dans mon cœur. Quand la passion est juste, elle n’est plus la passion. Le lendemain elle revenait à moi et me faisait, par des familiarités plus vives, les excuses muettes de son injustice. Je supportais tout cela comme je l’aurais accepté d’une sœur, car je commençais à avoir le pressentiment de quelque malheur pour elle. Je la traitais comme on doit traiter les malheureux, les malades et les enfants qui ne sont comptables que de leurs sensations. Les siennes devenaient tumultueuses comme l’air chargé de doutes qui commençait à peser sur elle. Le procès devait être jugé dans quelques semaines ; la correspondance retardait.


XXXI


Le banquier de Genève me fit avertir en secret qu’il avait une lettre à me remettre personnellement, et qu’il lui était interdit de confier à aucune autre main. Je pris un prétexte pour me rendre à Genève, pour que Régina et sa mère ne pussent soupçonner le motif de ma course. Arrivé à Genève, je courus chez le banquier. Il me remit un paquet volumineux de Rome. Je repris la route de Nyon et je décachetai en chemin le paquet. Il contenait une longue lettre en cinq ou six feuilles pour moi et une plus courte pour Régina. Je ne devais remettre celle-ci qu’avec