et qui me permet de jouir de la vue du verger, des prairies, sans être aperçu du chemin. J’ai des livres, du papier, des armes : je ne sors que la nuit, enveloppé d’un de ces grands manteaux bruns qui recouvrent les paysans romains, avec un large chapeau de feutre sur la tête. On me confond à la porte de Rome avec les marchands de bœufs de la Sabine ou avec les vignerons de Velletri ; j’entre et je sors sans soupçon, pour aller me glisser sous les murs de la Longara. À un signal de mes souliers ferrés sur le pavé, un flambeau brille à travers le treillis de bois, une main passe, un fil armé d’un crochet de plomb descend contre le mur : j’y prends un billet de Régina, j’y suspends un billet de moi, j’entends un soupir ou mon nom prononcé à voix basse, je couvre de baisers le papier avant de le laisser remonter, je m’éloigne au moindre bruit, j’emporte mon trésor, je le lis à la clarté de la lune ou des lampes qui brûlent dans les niches des madones, je ressors par une autre porte de Rome, je regagne à travers les champs mon asile, je passe la nuit et le jour à relire, à étudier, à interpréter les lettres de Régina. Le prince ***, dit-elle, est en route pour revenir en Italie. Sa grand’mère passe sa vie dans les transes et dans les larmes. Elle est décidée à protester contre le consentement imprévu qu’elle a donné à cette union, sous l’empire de la domination et de la peur. Elle se prêtera à tout pour empêcher le malheur et l’enlèvement de sa petite-fille. Elle a mis dans ses intérêts, à force d’argent et de supplications, une partie de la famille et des personnes influentes dans le gouvernement. L’opinion est partagée. Elle plaidera, elle se jettera aux pieds du cardinal ***. Elle a pris en horreur le tuteur de Régina et le prince ***. Régina jure, dans toutes ses lettres, qu’elle se réfugierait plutôt dans la tombe de Clotilde que de se laisser livrer à un homme que son cœur
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