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tante. Mes cheveux noirs et mes traits du Midi rendent la version vraisemblable.

« Ce soir donc, nous avons laissé la vieille comtesse et la nourrice dans la calèche, sur le boulingrin de l’entrée de la villa, et nous nous sommes enfoncés, comme à l’ordinaire, Régina et moi, dans les longues allées de lauriers qui descendent à perte de vue du plateau de la ville vers la vallée. Nous étions, à cette heure que les Italiens trouvent dangereuse, les seuls habitants de ces vastes salles de verdure. Les longues murailles d’ombrages que forment les haies épaisses des lauriers taillés, les coudes des allées, les statues, les conques, les perspectives de marbre qui en interrompent de distance en distance l’uniformité, nous dérobaient à tous les regards. Nous étions plongés dans cet isolement et dans cette sécurité du bonheur qui fait croire que deux êtres qui s’aiment sont les seules créatures animées, les seuls points sensibles de toute la nature. Nous nous hâtions d’avancer le plus loin possible dans ces labyrinthes, pour qu’aucun autre œil que les yeux du firmament, ces étoiles qui allaient se lever, ne pussent tomber sur nous. Régina cueillait dans les gazons les fleurs d’automne, et venait me les confier en gerbes pour les rapporter à la voiture et pour en embaumer, le soir, la terrasse de sa chambre. Mes mains en étaient embarrassées. Elle courait devant moi ; elle faisait envoler les merles déjà endormis qui traversaient les allées en sifflant et en rasant ses mains étendues de leurs ailes bleues. Les teintes roses des vapeurs du soir, qui flottaient sur l’horizon du côté de la mer, se réverbéraient sur son front, sur son cou, sur ses mains, comme un fard céleste versé du haut du ciel sur la plus divine forme de la nature. Ses cheveux, qu’elle relevait et qui se dénouaient sans cesse par la course, retombaient en tresses trempées