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avait perdu sa Régina, et qu’elle allait se marier avant peu au prince ***. » Or la charmante figure n’avait rien du costume d’une femme. Ses cheveux nus, sa robe noire, nouée, sans aucun ornement, autour du cou, étaient le costume en usage aux jeunes filles romaines. Ce ne pouvait être Régina !…

« Au moment où je me demandais ainsi : « Qui peut-elle être ? » elle se releva sur un genou en relevant aussi la tête pour saluer l’autel avant de se retirer ; elle m’aperçut. Elle ne jeta point de cri ; ses yeux restèrent fixes, ses lèvres entr’ouvertes, ses bras tendus vers moi, comme ceux d’une somnambule ; la pâleur du marbre se répandit sur ses traits, ses bras retombèrent le long de son corps, sa tête s’inclina, ses jambes fléchirent, et elle glissa sur ses genoux, assise, la main gauche appuyée sur la pierre de Clotilde pour se soutenir, et continuant à me regarder. Je m’élançai et je la soutins dans mes bras. Que te dirai-je de ce qui se passa en moi, quand je sentis le poids léger de cette femme non évanouie, mais affaissée sur mon cœur ?

« Je n’eus que le temps de l’emporter vers le grand air ; ce ne fut qu’un éblouissement ; elle reprit à l’instant la couleur, le mouvement, la parole. Elle se dégagea sans colère et sans brusque soubresaut de mes bras, comme si elle s’y était sentie à sa place. Elle regarda la pierre de Clotilde, puis moi, puis la pierre encore, puis moi de nouveau. On eût dit d’un peintre qui confronte un modèle avec un portrait, puis, tout à coup, s’élançant, du cœur, des yeux et du geste, vers mon visage : « O Clotilde, c’est lui, car c’est toi ! » dit-elle ; puis, avec une volubilité enfantine et balbutiante : « N’est-ce pas, monsieur, que vous êtes bien lui ? Eh bien, moi, je suis elle, je suis Régina ! Je suis son amie, sa sœur, sa fille sur