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loge de la génisse noire, elle m’aperçut encore immobile et hésitante, poussa un cri, laissa tomber le seau rempli de lait qui coula à terre, et se sauva vers sa maîtresse en disant : Une fille mendiante, là ! » montrant d’un geste effrayé le fond de l’étable à sa maîtresse, et se sauvant jusque dans la cour pour appeler les gens de la maison.

« Je profitai instinctivement du moment où la petite fille épouvantée s’était précipitée hors de l’étable pour sortir de ma cachette, la tête basse et les mains jointes, bien doucement, bien lentement, et pour m’avancer vers la jeune femme, qui était restée contre la porte. Elle fit un cri d’attendrissement et un geste de pitié en voyant ma nudité et mon attitude humble et mes vêtements. Je tombai à genoux devant elle, le visage quasi à ses pieds, espérant au moins qu’elle ne me reconnaîtrait pas.

« — Pardonnez-moi ma faute, lui dis-je : si j’ai osé entrer dans votre étable sans permission, c’est que la tempête et le froid m’y ont jetée comme malgré moi ; mais je vais m’en aller, et vous voyez que je n’ai rien pris que le chaud, » ajoutai-je en lui montrant mes mains et mes poches vides.

« En disant cela, je me relevais, toujours la tête basse, et je fis un mouvement comme de quelqu’un qui se sauve pour passer entre elle et la porte, et pour échapper, en fuyant de cette maison, aux regards des autres habitants.

« Mais cette femme, qui était humaine, me dit avec douceur et en se mettant devant moi pour m’empêcher de sortir : « Non, pauvre fille, vous ne vous en irez pas dans cet état ; il ne sera pas dit que vous serez sortie de notre maison sans avoir goûté le pain et sans avoir pris un air de feu. Le bon Dieu ferait fondre notre sel et maigrir nos vaches. Venez là-haut, vous mangerez la soupe avec nous. »