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les uns profonds, les autres larges et à grands bords, comme des feuilles étendues à terre, pour laisser s’étendre et reposer le lait après qu’on l’a tiré, et pour écumer plus aisément la crème avec une écumoire d’érable. Il y avait neuf belles vaches, tant petites que grandes et de tous poils, dans leurs cases. Elles étaient blondes, noires, blanches, bariolées, toutes grasses, le poil luisant et la queue aussi bien peignée que si elles sortaient des hautes herbes en fleur. Même on leur avait laissé leur collier de cuir et leur clochette au cou, parce que le bruit les désennuie l’hiver à la maison, en leur rappelant les prés.


CV


« Tout en regardant les vaches, les vases, la paille, le foin, les seaux avec admiration, je me sentais dévorée par la faim et par la soif. Il y avait bien de la crème qui reposait dans un grand bassin plat à terre, tout près de moi ; mais je n’osais pas y tremper mes lèvres ou seulement le bout de mon doigt sans en avoir demandé la permission aux maîtres. « C’est bien assez, me disais-je, de leur avoir emprunté une place auprès de leurs vaches et la chaleur de leurs murs sans que je leur vole encore la crème de leur laiterie. » Je serais morte, je crois, plutôt que d’y toucher, même d’une convoitise. Je tournais la tête d’un autre côté pour ne pas voir la tentation. Je me disais : « Quand ils seront levés, ils me donneront bien un morceau de pain et de l’eau de leur puits avant de m’enseigner le chemin d’un village ou d’un autre chalet. » Cependant, monsieur, en pensant tout à coup que je n’avais plus ni fichu sur le cou, ni coiffe sur les cheveux,