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œil ; elles ne m’appelèrent pas pour veiller comme de coutume avec elles à mon rouet dans la salle. Je passai une nuit de souci, cherchant en moi-même ce que j’avais fait pour leur déplaire. Le matin, la dame vint dans la cuisine ; elle me dit : « Voilà votre compte. Vous êtes bien hardie d’oser mettre les pieds dans une honnête maison, après ce que le marchand de toile nous a dit de vous ! Faites votre paquet devant moi, afin que je m’assure que vous n’y mettez rien qui ne vous appartienne, et sortez ! »

« Hélas ! mon paquet, monsieur, il n’était pas bien embarrassant, il tenait dans un de mes bas. Je n’osai rien répondre ; je rentrai dans ma chambre pour prendre mes souliers. La demoiselle vint en cachette me dire adieu ; elle pleura en me quittant et me glissa un petit écu dans la poche de mon tablier. J’allai de porte en porte chercher une condition dans toute la ville ; mais tout le monde me disait : « D’où sortez-vous ? Avez-vous des répondants ? Avez-vous un bon certificat de vos maîtresses ? Nous prendrons des informations. » Quand je revenais le soir ou le lendemain, on me disait : « Nous n’avons pas besoin de servante. » Je me retirais en m’essuyant les yeux avec le coin de mon tablier.

« À la fin, la femme du cordonnier de ces dames consentit à me prendre pour soigner ses enfants et pour border des souliers dans l’arrière-boutique. J’avais mon lit et ma nourriture et deux sous par paire de souliers que j’ourlerais. Eh bien, monsieur, j’étais contente, parce que le cordonnier et sa femme ne me méprisaient pas, et qu’ils me disaient quelquefois : « Tout le monde est fautif ; mais ce n’est pas une raison pour se rebuter comme ça les uns les autres ; les enfants sont bien soignés, les souliers sont bien bordés ; il n’y a jamais un mot plus haut que l’autre dans la boutique. Restez avec nous tant que vous