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si je ne prenais pas pour moi une pomme ou un pruneau dans le panier de la provision. Ça m’humiliait bien, moi qui n’ai jamais été sur ma bouche.

« Mais la demoiselle était si jolie, si gentille, si affable, si complaisante, qu’elle me reconsolait de tout. Une fois mon ouvrage fini à la cuisine, et il n’était pas long, nous travaillions, elle et moi, dans la salle, les pieds sur un chauffe-pied, tout le jour, pendant que sa mère allait causer de maison en maison, avec ses anciennes connaissances. Au bout de trois mois nous étions comme deux sœurs. Elle me rappelait Josette, monsieur, et j’étais heureuse, heureuse, que je serais bien restée là toute ma vie !

« Mais voilà qu’au moment où nous nous aimions le mieux et où elle me promettait de me prendre avec elle quand elle se marierait, pour ne plus jamais nous quitter, un marchand ambulant de Voiron, que je ne connaissais pas même de vue, mais qui me connaissait, lui, entra, avec son sac de coutil sur le dos, dans la maison, pour vendre de la toile à la bourgeoise. On m’envoya chercher un verre de vin à la cave pour faire rafraîchir cet homme après qu’il fut payé, parce qu’il avait retenu qu’on lui donnerait un coup à boire et un morceau à manger par-dessus le marché. Ah ! le vilain homme ! je ne lui en veux pas de mal pourtant, mais il aurait bien pu retenir sa langue et ne pas perdre une payse comme moi pour le plaisir de bavarder.

« Voilà que, quand je remontai, ma bouteille à la main, j’entendis que cet homme parlait tout bas avec les deux dames ; ils se turent en me voyant entrer, mais je vis je ne sais quoi d’extraordinaire et de soupçonneux sur le visage de la mère et de la demoiselle. La mère avait l’air en colère, la fille tout affligée. Elles ne me parlèrent pas avec la même voix ; elles ne me regardèrent plus avec le même