Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« — De chez moi, répondis-je bien bas en baissant la tête et en rougissant jusqu’au blanc des yeux.

« — Si jeune, dit-il après un moment de silence, et déjà mère dénaturée ! Comment ! vous avez eu la barbarie d’exposer votre enfant pour vous éviter un moment de juste honte, et de violer la nature plutôt que de supporter le respect humain ? »

« Et ceci et cela. Enfin, il me fit un discours aussi long et aussi menaçant qu’un curé dans sa chaire quand il parle, au nom de la justice de Dieu, aux pécheurs !

« Je ne répondais rien et je regardais toujours la pointe de mes souliers. Bien que je me sentisse humiliée jusqu’au bout des ongles, j’étais contente en moi-même, qu’il me crût si bien coupable qu’il se fâchât si fort contre moi.

« Il me demanda ma condition, mon état, mes moyens d’existence. Je ne me fis ni plus riche ni plus pauvre que j’étais.

« — Voulez-vous le reprendre, si on le retrouve, ajouta-t-il, votre enfant ?

« — Ah ! monsieur le juge, que je lui dis en me jetant à genoux, devant lui, je ne demande pas autre chose. Au nom du ciel ! faites-le-moi rendre ! je l’ai marqué d’un bracelet de cheveux. À présent que tout est découvert et que je n’ai plus de honte à boire, je lui payerai de mon travail les mois de nourrice, et je l’élèverai comme s’il était mon fils… » Je sentis que je me coupais : « Comme s’il était mon fils légitime ! » me hâtai-je de reprendre.

« — Eh bien, me dit-il en se radoucissant, vous n’avez pas l’air d’une fille perverse ; je vais écrire à Grenoble pour qu’on fasse des recherches pour trouver votre enfant ; on vous le rendra, vous payerez l’amende. En attendant, je vais ordonner qu’on mette en liberté la sage femme, et je vais vous faire conduire à sa place, pour