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parlait jamais qu’à moi dans la rue ; il ne parlait jamais que de moi aux voisins et aux camarades ; quand il frappait à la vitre, il n’appelait jamais que mam’selle Geneviève ; quand il venait nous chercher, les jours de congé, pour nous mener ici et là, il ne donnait jamais le bras qu’à moi ; il était plein d’égards, d’attention et de respect pour moi, comme s’il avait voulu me flatter et me prendre par l’amour-propre. Je me doutais bien pourquoi : pour que je fusse mieux disposée en sa faveur et plus indulgente pour ses visites ; ça ne me trompait pas ; mais j’étais bien bonne, monsieur ; il n’y avait pas de mal, ça me faisait de la peine d’en faire à ces jeunesses ; je laissais aller. Je pensais toujours : Un bon coup de trompette, un soir ou un matin, ça me délivrera de ces politesses ! » Mais les voisines prenaient ça pour tout de bon.


LIX


« Un soir, en effet, un soir du mois de mai, on dit dans Voiron : « Le régiment part demain ! » Ah ! la pauvre Josette, monsieur ! ses bras lui tombèrent le long de sa chaise ; elle devint plus pâle que sa dentelle. J’aurais voulu que le régiment ne partît plus jamais.

« Le malheur voulut qu’au même moment, monsieur, on vînt me chercher vite, vite, pour aller veiller une voisine qui était en mal d’enfant, et qu’on disait qui ne passerait pas la nuit. Ses petits enfants criaient après moi et me tiraient par mon tablier pour me mener assister leur mère. J’y courus, monsieur ; je recommandai bien à Josette de fermer la boutique de bonne heure et de se coucher. « Le régiment ne part qu’à huit heures du matin, lui dis-je ;