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« — Ma mère ! ma mère ! répondis-je, ne me condamnez pas ! Je jure que, si vous rendez le souffle et la parole à la petite, je ne me marierai pas, et que je me sacrifierai entièrement à votre enfant ! »

« Et je fis un vœu, monsieur, un vœu irrévocable, en dedans de moi.

« La preuve que ma mère m’avait bien parlé, monsieur, et qu’elle avait bien entendu ma réponse, c’est qu’à peine mon vœu était fait dans mon cœur que la petite commença à respirer, à étendre les bras, à ouvrir les yeux aussi doucement que si elle sortait d’un sommeil, et qu’elle me dit, sans plus de colère :

« — Geneviève, tu ne te marieras plus, tu ne me laisseras jamais, n’est-ce pas ?

« — Non, jamais ! jamais ! jamais ! dis-je en la couvrant de baisers, en me recouchant à côté d’elle et en la chauffant dans mes bras. Mais comment le sais-tu ? lui dis-je.

« — Quelque chose me le dit dans le cœur, » dit-elle. Alors elle m’embrassa de nouveau, et nous nous embrassâmes tout le reste de la nuit, elle en riant, moi en pleurant.

« Le malheureux Cyprien, il n’était pas encore au pont rouge, et il n’avait plus de maîtresse ! et il chantait peut-être, avec son mulet, sans se douter de rien !…

« Ce que c’est que de nous pourtant, monsieur ! Ah ! ne m’en parlez pas ! le monde est une marche les yeux bandés : on croit aller à droite, on va à gauche. C’est Dieu seul qui voit clair pour nous !