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propre cœur !… Ah ! monsieur, la terrible nuit !… Il n’y en a pas de pire, j’en suis sûre, dans l’enfer. Je rougissais, je pâlissais, j’avais la sueur froide sur les membres, je brûlais, j’étais transie, j’avais la fièvre, et la petite se retournait pour m’éviter, et continuait à me reprocher toujours.

« — Mais, que je lui disais en l’embrassant et en lui prenant les mains dans les miennes, tu seras si bien chez la dentellière ! bien couchée, bien nourrie, bien parée, bien instruite comme ses propres enfants. Elle est à son aise, elle ; ce n’est pas comme chez nous : il y a des meubles, il y a des chambres, il y a une servante qui fait tout le gros ouvrage. Que veux-tu de mieux ? Est-ce que je peux te nourrir avec du pain blanc, moi ?

« — Qu’est-ce que ça me fait, ton pain noir ou blanc, répondit l’enfant, la robe vieille ou neuve, la chambre, les meubles, la servante ? Ne me nourris qu’avec du pain de paille si tu veux, mais emmène-moi partout avec toi ; loin de toi je serai si malheureuse, si malheureuse ! Tu parles de la dentellière ; elle les nourrit bien, oui, mais si tu savais comme elle les bat, ses enfants ! Ah ! je ne resterais pas seulement trois jours chez elle qu’elle m’aurait battue, et que je me serais sauvée dans les prés et jetée, comme la petite de la bohémienne, dans la rivière, où on l’a retrouvée hier ! Qu’est-ce que tu dirais quand tu apprendrais ça ? Serais-tu bien contente là-haut avec ton Cyprien ? Ah ! je le déteste maintenant. Et qu’est-ce que ma mère penserait de toi dans son lit de terre ? »

« Je me mis à pleurer plus fort à ces mots ; alors elle redoubla de parler de ma mère. Les enfants, voyez-vous, c’est plus fin que ça n’en a l’air. Elle s’apercevait de l’impression que faisait sur moi ce reproche au nom de notre mère. Elle y revenait toujours. Ça m’attendrissait, et, quand