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que mon ange gardien sur la route. Il était plus rouge de honte que moi ; il ne me toucha pas du bout des lèvres jusqu’à ce qu’il fût devant tout le monde, à table, dans la maison de sa mère, et que son père lui dit : « Allons, Cyprien, embrasse ta fiancée ! »


XXXII


« Nous nous arrêtâmes bien quelquefois pour faire souffler le mulet à l’ombre, dans le creux du rocher, au bord des eaux qui écumaient. Il cassait des branches de jeunes sapins qu’il me donnait pour m’éventer ou pour chasser les mouches de mes joues ; même, une fois que j’avais soif, il alla me chercher de l’eau au torrent dans le creux de ses deux larges mains, qu’il arrondit comme une coupe ; il les éleva vers moi, et j’y bus en me penchant comme à la source. Je ne pouvais pas me rassasier d’y boire ainsi ; il me semblait que ça me familiarisait avec celui qui devait être mon mari, et que je buvais véritablement sa sueur et sa vie. Je prolongeais le jeu au delà de ma soif, et lui riait et me disait : « Bien, mademoiselle Geneviève, ne vous pressez pas ; c’est comme cela que nous buvons à la montagne quand nous fanons le foin. » Puis, quand j’avais fini, il buvait après moi, ouvrait les mains et me jetait quelques gouttes au visage pour me rafraîchir le front. Voilà tout ce qui nous arriva en chemin.

« Mon Dieu ! que je trouvais donc tout cela beau ! les gorges dans lesquelles il semblait que le mulet ne pourrait jamais passer, tant les rochers et les sapins se rapprochaient comme pour murer la route ; les neiges fondues qui bondissaient, comme des agneaux qui se noient, de rocher