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« Cette longue infirmité de ma mère, en la retenant tant d’années ainsi immobile et désœuvrée du corps dans son lit, l’avait rendue instruite comme une dame et dévote comme une sainte ; les fils de nos voisines, qui allaient en classe ou qui revenaient en vacances chez leurs parents, prêtaient leurs vieux livres par charité à la pauvre vitrière infirme, par l’entremise de mon jeune frère, pour lui abréger le temps.

« Le soir, à la veillée, quand mon père, mon frère, mes deux grandes sœurs étaient rentrés à la maison de leur ouvrage, elle nous rassemblait tous autour de son lit pour nous lire à haute voix les belles histoires qu’elle avait lues tout bas dans la journée, et qui étaient propres à instruire mon petit frère, à amuser mes sœurs et à consoler mon père. C’étaient des chapitres de la Bible où il était parlé de pauvres gens exerçant honnêtement des états pénibles, comme nous, et cependant aimés et visités du Seigneur ; des paraboles de l’Évangile avec des réflexions par des savants pour en faire comprendre la beauté aux simples ; les histoires de l’enfant Jésus étonnant sa mère, devant les docteurs, par sa science ; lui obéissant ensuite humblement à la maison, et maniant les outils et le bois autour de l’établi d’un charpentier ; puis ses conversations et ses amitiés avec les jardiniers et les pauvres femmes des faubourgs de Jérusalem ; c’étaient, d’autres fois, des livres en mots qui faisaient voir les choses comme des images ou des tableaux devant les yeux, et qui chantaient dans l’oreille comme une musique.