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nomie. Mais, depuis que Jocelyn était mort, et qu’elle n’avait plus la bourse et le pain du prêtre à donner en son nom, elle puisait assez souvent dans sa coupe, et les gros sous diminuaient sensiblement.

Le sort de cette pauvre fille m’inquiétait, car je n’étais pas riche alors, et je voyais bien qu’une fois le mobilier vendu pour payer les dettes, la maladie, la sépulture, l’héritage se réduirait à deux charges : le chien et les oiseaux. Mais Geneviève n’y pensait pas ; elle était, au contraire, sans cesse occupée à rechercher bien loin dans sa mémoire si monsieur le curé ne devait pas une mesure d’orge à celui-là, un char de fagots à celui-ci, une poignée de foin pour la chèvre à l’un, un disque de pain de seigle emprunté le dernier hiver et non rendu à l’autre. Elle ne voulait pas laisser un brin de paille ou un grain de sel sur la conscience ou sur la mémoire de son maître.

Mais moi, j’y pensais pour elle. Je l’avais toujours vue depuis mon enfance au presbytère, je ne m’étais jamais informé comment elle y était venue, encore moins comment elle en sortirait ; le curé, la servante et la maison se confondaient à mes yeux en un seul être et en un seul tout indivisible qui me paraissait avoir existé ainsi toujours et devoir toujours de même exister. La mort venait de me poser un problème auquel je n’avais jamais réfléchi : D’où vient la servante, et que deviendra-t-elle ?

À la fin, il fallut bien lui en parler. C’était un soir après souper, à la clarté de la lampe, au petillement du foyer ; j’avais le coude encore appuyé sur la table, la tête sur la main ; elle avait fini de ranger le pain et la nappe, elle était assise à l’ombre dans l’angle que forme le jambage noir de la cheminée avec le mur de la cuisine, place où les paysans mettent le coffre à sel. Elle remuait en tricotant avec un léger cliquetis de fer, l’un contre l’autre, en relevant la