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servir, allant et venant, comme le reste du jour, dans la cuisine, attisant le foyer, battant le beurre, grillant des châtaignes, jetant des morceaux de son pain au chien qui l’épiait, assis devant son tablier, et qui ne perdait pas sa main de l’œil. Je ne cherchais nullement à la contraindre dans ses habitudes respectueuses et familières à la fois de ménagère, je l’aurais plutôt embarrassée et humiliée en la forçant de s’asseoir vis-à-vis de moi. Seulement, je causais avec elle, tout en soupant lentement, les coudes sur la table, à la façon des montagnards désœuvrés.

Après le souper, je me rapprochais du foyer, où elle jetait de moment en moment des équarrissures pétillantes de sapin. Je faisais sécher à la flamme le canon et les bassinets huilés de mon fusil entre mes jambes ; je détachais mes guêtres de cuir, je les ramollissais au feu pour le lendemain. Geneviève levait le couvert, distribuait le fond des plats à ses chiens ou à ses poules, repliait la nappe, remettait, soigneusement enveloppé, le pain dans la huche, allumait la lampe au bec de fer suspendue à côté de l’âtre, au manteau de pierre de la haute cheminée, puis elle s’asseyait un peu en arrière de moi pour tricoter des bas de grosse laine blanche qu’elle avait filée dans l’autre saison.

Nous causions alors plus longuement et plus familièrement que le reste de la journée, au seul bruit de la cascade qui mugissait au dehors et du feu qui pétillait au dedans ; nous parlions du mort, de ses vertus, de ses charités, de sa pauvreté, de sa résignation dans ce désert où on l’avait relégué comme pour cacher son éclat naturel et ses talents enfouis à tout autre œil qu’à l’œil de Dieu et des pauvres ; de ses habitudes, de ses méditations, de ses prières, du mystère de sa jeunesse à demi révélé par les pèlerinages qu’il faisait de temps en temps au tombeau ou à la grotte des Aigles ; de sa dernière maladie, de ses suprê-