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senties. Les poëtes, qu’on accuse d’être des assembleurs de fictions et des récitateurs de mensonges, sont les plus vrais de tous les hommes. Ils observent, ils sentent et ils écrivent ; ils changent les noms de leurs personnages : voilà toute leur invention ; mais si ces personnages n’étaient pas réels dans la nature, ils ne les auraient pas conçus, et s’ils ne les avaient pas conçus réellement dans leur imagination, ils ne les enfanteraient pas, ou ils n’enfanteraient que des monstres et des fantômes. Tout poëme est donc une vérité.

J’ai raconté, dans les Confidences, quelle était l’aventure vraie que j’avais récitée ou chantée à demi-voix dans ce poème domestique de Jocelyn. Les lecteurs des Confidences connaissent le pauvre et intéressant vicaire de village à qui j’ai donné, dans mes vers, le nom de Jocelyn ; ils connaissent la belle et touchante enfant du château de ***, à qui j’ai donné le nom de Laurence. Je ne me suis guère permis d’autre altération de la vérité dans ce petit drame, tableau de cheminée qu’on suspend à un clou de laiton dans sa chambre ou dans sa mansarde, et qu’on regarde par distraction, quand on a envie de se rappeler sa jeunesse, de rêver, de pleurer ou de prier.

Beaucoup d’oisifs, de jeunes hommes, de jeunes filles, m’ont écrit, de tous les coins du monde, à l’occasion de ce poëme qui a eu le seul succès qu’il pouvait avoir, un succès de cœurs malades, une gloire d’intimité, une immortalité de coin de feu, musa pedestris ! Tous ces cœurs touchés, toutes ces voix émues, toutes ces plumes tremblantes, me demandaient si ce drame était vrai, si Jocelyn avait vécu, si Laurence avait aimé et était morte ainsi, si je les avais connus, si j’avais eu en moi ou autour de moi les tristes et saintes confidences de leurs amours et de leurs malheurs ; s’il fallait s’y intéresser seulement comme à des