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dresse amour, pitié et piété, ces dons du génie à ceux qui souffrent. Philosophe des heureux, aristocrate des intelligents, poëte de demi-jour, peu à prendre pour les simples de cœur, lustre des bibliothèques s’éteignant dans le champ en plein soleil, ou déplacé dans la mansarde de l’indigent !

« Voilà tous nos historiens. Pas un pour le peuple depuis nos chroniqueurs ! Montesquieu, trop haut ; Rollin, excellent, mais trop servile traducteur de l’antiquité et trop long pour des lecteurs qui comptent le temps !

« Voilà nos romanciers. Tous prenant leurs personnages dans les rangs élevés de la société, et donnant au sentiment le jargon du salon, au lieu de la langue de la nature illettrée ! Rien, ou presque rien !

« Voilà nos philosophes ! Descartes, Malebranche, Condillac, et tous les modernes ; vous pouvez les réimprimer tant que vous voudrez, je vous défie de les faire lire au peuple, parce que la philosophie du peuple ne raisonne pas, elle sent. Sa dialectique, c’est un instinct ; sa logique, c’est une impression ; sa conclusion, c’est une larme ! Il n’y en a point là pour lui. Il ne connaît de J.-J. Rousseau que les cent premières pages du Vicaire savoyard et quelques chapitres des Confessions, où il voit un horloger de génie aux prises avec ses misères et des sentiments qu’il reconnaît en lui-même. De Chateaubriand il ne lit que René et Atala, où la philosophie est délayée de larmes, et où la piété est fondue dans l’amour. Rien !

« Voilà nos théâtres : ils ont été écrits pour les cours ou pour les classes exclusivement lettrées. La preuve que le peuple ne les sent pas assez faits pour lui, c’est qu’il les laisse aux scènes académiques et qu’il a inventé pour lui les mélodrames, parce que son vrai drame n’a pas encore été inventé pour lui. Rien !