Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/157

Cette page a été validée par deux contributeurs.


XIII


Elle reprit :

« Quand les demoiselles se marièrent et que leur mère vint à mourir, il fallut bien me déplacer faute de place. Je ne voulus pas rentrer en condition ; j’avais été trop heureuse dans celle-là, toutes les autres m’auraient paru dures : mon cœur n’y était plus. Le monsieur me fit une petite pension de cinquante écus en mémoire de sa femme ; les jeunes dames me dirent : « Sois tranquille, nous ne te laisserons pas mendier ton pain. » J’avais du courage, j’étais connue et je puis bien dire estimée dans toutes les bonnes maisons d’Aix ; je louai une chambre avec une petite boutique au-dessous dans une petite rue écartée où les loyers ne sont pas chers, et je me fis couturière. Je gagne ma vie avec mon aiguille ; on m’aime bien dans l’endroit ; on me donne autant d’ouvrage que j’en peux faire ; je n’ai pas d’ambition ; je vis petitement ; je ne demande que ma nourriture et à épargner quelque petite chose pour le temps où mes yeux s’affaibliront et où je ne pourrai plus coudre aussi vite. Je vends aussi quelque petite mercerie à bon compte aux gens du quartier. J’ai mon oiseau qui me tient compagnie, ou plutôt, reprit-elle, je l’avais, car il est mort ; mais on m’en a donné un autre que j’aimerai peut-être aussi, pas tant que l’autre pourtant. Le dimanche et les jours de fête, je lis ; enfin, monsieur, le temps ne me dure pas. Et puis on est très-bon pour moi à Aix. Croiriez-vous que des messieurs comme vous, des messieurs du quartier d’en haut, des hommes instruits, des personnes de l’Académie même, qui savent que j’aime la lecture et que j’ai même écrit dans l’occasion quelques bêtises, quelques vers pour des fêtes,