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Beaux arbres dont l’hiver respectait la verdure,
Cascades dont Mécène adorait le murmure,
Jardins où les Césars, lassés de leur splendeur,
Fuyaient et retrouvaient leur fatale grandeur,
Ruisseaux, vallons obscurs, grottes, humbles retraites,
Qui prêtiez du silence et de l’ombre aux poëtes,
Où Tibulle, où Virgile, amoureux de vos bords,
Exhalaient leur belle âme en immortels accords,
Où leur ami voyait avec un doux sourire,
La sagesse et l’amour se disputer sa lyre,
Et dans leurs douces mains la livrant tour à tour,
D’un bonheur nonchalant jouissait jour à jour ?


Hélas ! j’ai vu moi-même, après deux mille années,
Par l’homme et par le temps ces rives profanées
N’offrir dans leur tristesse et dans leur nudité
Qu’un triste monument de leur caducité.
L’antiquaire y fouillait sous la ronce et l’épine
La poudre des tombeaux, la pierre des ruines,
Et foulant sous ses pieds la cendre des héros,
De leurs noms oubliés laissait d’ingrats échos !
Des générations rapides, ignorées,
Avaient passé, sans trace, en ces mêmes contrées,
Et vers l’éternité précipité leur cours,
Semblables à leurs flots qui débordent toujours !
Les hommes n’étaient plus ; les dieux, les dieux eux-même
Étaient avec le temps tombés du rang suprême ;
D’autres dieux les avaient chassés de leurs autels ;
Les vils lézards rampaient sur leurs noms immortels ;
Du beau temple où Tibur évoquait sa sibylle,
La croix couvrait le dôme et consacrait l’asile ;
La chasteté veillait au parvis de Vénus,
Et dans ces bois souillés du nom d’Antinoüs,