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Je crois qu’il ne les comprit pas, et qu’il crut trouver dans quelques critiques trop amicalement articulées un dénigrement de son talent. C’était une erreur. J’admirais extrêmement cette œuvre. La froideur injuste du public découragea trop ce jeune poëte des vers. Il ne faut céder au public qu’en mourant. M. Sainte-Beuve, en persévérant, l’aurait forcé à comprendre et soumis à admirer.

Depuis ce temps, à mon grand regret, il s’éloigna de moi, qui l’aimais d’une prédilection forte et constante. Il se jeta dans le roman philosophique, genre inférieur à son talent, et dans la critique, puissance des impuissants. Il me traita en général avec une indulgence où je sentais le souvenir de l’amitié dans le jugement du juge ; quelquefois avec sévérité ; mais jamais je n’en eus le moindre ressentiment. Je regrette M. Sainte-Beuve pour la poésie, je le regrette pour l’amitié. Je le suis d’un œil attentif dans sa carrière d’écrivain. C’est un de ces hommes qui, en s’éloignant, emportent toujours un morceau du cœur : ils ne vous deviennent jamais étrangers, fussent-ils même ennemis.