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Chaque parole emporte un lambeau de ma vie ;
L’homme ainsi s’évapore et passe ; et quand j’appuie
Sur l’instabilité de cet être fuyant,
À ses tortures près tout semblable au néant,
Sur ce moi fugitif, insoluble problème
Qui ne se connaît pas et doute de soi-même,
Insecte d’un soleil, par un rayon produit,
Qui regarde une aurore et rentre dans la nuit,
Et que, sentant en moi la stérile puissance
D’embrasser l’infini dans mon intelligence,
J’ouvre un regard de Dieu sur la nature et moi,
Que je demande à tout, « Pourquoi ? pourquoi ? pourquoi ? »
Et que, pour seul éclair et pour seule réponse,
Dans mon second néant je sens que je m’enfonce,
Que je m’évanouis en regrets superflus,
Qu’encore une demande, et je ne serai plus !!!
Alors je suis tenté de prendre l’existence
Pour un sarcasme amer d’une aveugle puissance,
De lui parler sa langue, et, semblable au mourant
Qui trompe l’agonie et rit en expirant,
D’abîmer ma raison dans un dernier délire,
Et de finir aussi par un éclat de rire !





Ou de dire : « Vivons, et dans la volupté
Noyons ce peu d’instants au néant disputé !
Le soir vient : dérobons quelques heures encore
Au temps qui nous les jette et qui nous les dévore ;
Enivrons-nous du moins de ce poison humain
Que la mort nous présente en nous cachant sa main !
Jusqu’aux bords de la tombe il croît encor des roses,
De naissantes beautés pour le désir écloses,