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La vérité complète est le miroir du monde :
Du jour qui sort de lui Dieu le frappe et l’inonde ;
Il s’y voit face à face, et seul il peut s’y voir.
Quand l’homme ose toucher à ce divin miroir,
Il se brise en éclats sous la main des plus sages,
Et ses fragments épars sont le jouet des âges.
Chaque siècle, chaque homme, assemblant ses débris,
Dit : « Je réunirai ces lueurs des esprits,
Et, dans un seul foyer concentrant la lumière,
La nature à mes yeux paraîtra tout entière ! »
Il dit, il croit, il tente ; il rassemble en tous lieux
Les lumineux fragments d’un tout mystérieux,
D’un espoir sans limite en rêvant il s’embrase,
Des systèmes humains il élargit la base,
Il encadre au hasard, dans cette immensité,
Système, opinion, mensonge, vérité ;
Puis, quand il croit avoir ouvert assez d’espace
Pour que dans son foyer l’infini se retrace,
Il y plonge ébloui ses avides regards,
Un jour foudroyant sort de ces morceaux épars :
Mais son œil, partageant l’illusion commune,
Voit mille vérités où Dieu n’en a mis qu’une.
Ce foyer, où le tout ne peut jamais entrer,
Disperse les lueurs qu’il devait concentrer :
Comme nos vains pensers l’un l’autre se détruisent,
Ses rayons divergents se croisent et se brisent ;
L’homme brise à son tour son miroir en éclats,
Et dit en blasphémant : « Vérité, tu n’es pas ! »





Non, tu n’es pas en nous ! tu n’es que dans nos songes,
Le fantôme changeant de nos propres mensonges,