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Avez-vous vu, le soir d’un jour mêlé d’orage,
Le soleil qui descend de nuage en nuage,
À mesure qu’il baisse et retire le jour,
De ses reflets de feu les dorer tour à tour ?
L’œil les voit s’enflammer sous son disque qui passe,
Et dans ce voile ardent croit adorer sa trace :
« Le voilà, dites-vous, dans la blanche toison
Que le souffle du soir balance à l’horizon !
Le voici dans les feux dont cette pourpre éclate ! »
Non, non, c’est lui qui teint ces flocons d’écarlate !
Non, c’est lui qui, trahi par ce flux de clarté,
A fendu d’un rayon ce nuage argenté.
Voile impuissant ! le jour sous l’obstacle étincelle !
C’est lui : la nue est pleine et la pourpre en ruisselle !
Et tandis que votre œil à cette ombre attaché
Croit posséder enfin l’astre déjà couché,
La nue à vos regards fond et se décolore ;
Ce n’est qu’une vapeur qui flotte et s’évapore ;
Vous le cherchez plus loin, déjà, déjà trop tard !
Le soleil est toujours au delà du regard ;
Et, le suivant en vain de nuage en nuage,
Non, ce n’est jamais lui, c’est toujours son image !
Voilà la vérité ! Chaque siècle à son tour
Croit soulever son voile et marcher à son jour ;
Mais celle qu’aujourd’hui notre ignorance adore
Demain n’est qu’un nuage ; une autre est près d’éclore !
À mesure qu’il marche et la proclame en vain,
La vérité qui fuit trompe l’espoir humain,
Et l’homme qui la voit dans ses reflets sans nombre
En croyant l’embrasser n’embrasse que son ombre.
Mais les siècles déçus, sans jamais se lasser,
Effacent leur chemin pour le recommencer !