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J’ai vécu, c’est-à-dire à moi-même inconnu,
Ma mère en gémissant m’a jeté faible et nu ;
J’ai compté dans le ciel le coucher et l’aurore
D’un astre qui descend pour remonter encore,
Et dont l’homme qui s’use à les compter en vain
Attend, toujours trompé, toujours un lendemain.
Mon âme a, quelques jours, animé de sa vie
Un peu de cette fange à ces sillons ravie,
Qui répugnait à vivre et tendait à la mort,
Faisait pour se dissoudre un éternel effort,
Et que par la douleur je retenais à peine :
La douleur ! nœud fatal, mystérieuse chaîne
Qui dans l’homme étonné réunit pour un jour
Deux natures luttant dans un contraire amour,
Et dont chacune à part serait digne d’envie,
L’une dans son néant et l’autre dans sa vie,
Si la vie et la mort ne sont pas même, hélas !
Deux mots créés par l’homme, et que Dieu n’entend pas !
Maintenant, ce lien que chacun d’eux accuse,
Près de se rompre enfin sous la douleur qui l’use,
Laisse s’évanouir comme un rêve léger
L’inexplicable tout qui veut se partager.
Je ne tenterai pas d’en renouer la trame,
J’abandonne à leur chance et mes sens et mon âme :
Qu’ils aillent où Dieu sait, chacun de leur côté !
Adieu, monde fuyant ! Nature, humanité,
Vaine forme de l’être, ombre d’un météore,
Nous nous connaissons trop pour nous tromper encore !





Oui, je te connais trop, ô vie ! et j’ai goûté
Tous tes flots d’amertume et de félicité,