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Et disent à notre œil, de néant convaincu :
« Un homme a passé là ! cette argile a vécu ! »





Paroles, faible écho qui trompez le génie ;
Enfantement sans fruit ! douloureuse agonie
De l’âme consumée en efforts impuissants,
Qui veut se reproduire au moins dans ses accents,
Et qui, lorsqu’elle croit contempler son image,
Vous voit évanouir en fumée, en nuage :
Ah ! du moins aujourd’hui servez mieux ma douleur !
Condensez-vous, ainsi que l’ardente vapeur
Qui, s’élevant le soir des sommets de la terre,
Se condense en nuée et jaillit en tonnerre !
Comme l’eau des torrents, parole, amasse-toi,
Afin de révéler ce qui s’agite en moi ;
Pour dire à cet abîme appelé vie ou tombe,
À la nuit d’où je sors, à celle où je retombe,
À ce je ne sais quoi qui m’envie un instant ;
Pour lui dire à mon tour, sans savoir s’il m’entend :
« Et moi je passe aussi parmi l’immense foule
D’êtres créés, détruits, qui devant toi s’écoule !
J’ai vu, pensé, senti, souffert ; et je m’en vais,
Ébloui d’un éclair qui s’éteint pour jamais,
Et saluant d’un cri d’horreur ou d’espérance
La rive que je quitte et celle où je m’élance,
Comme un homme jugé, condamné sans retour
À se précipiter du sommet d’une tour,
Au moment formidable où son pied perd la cime,
D’un cri de désespoir remplit du moins l’abîme ! »