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Chaque mois qui revient, comme un pas des saisons,
Reverdir ou faner les bois ou les gazons ;
La lune qui décroît et s’arrondit dans l’ombre,
L’étoile qui gravit sur la colline sombre,
Les troupeaux, des hauts lieux chassés par les frimas,
Des coteaux aux vallons descendant pas à pas,
Le vent, l’épine en fleurs, l’herbe verte ou flétrie,
Le soc dans le sillon, l’onde dans la prairie,
Tout m’y parle une langue aux intimes accents,
Dont les mots entendus dans l’âme et dans les sens
Sont des bruits, des parfums, des foudres, des orages,
Des rochers, des torrents, et ces douces images,
Et ces vieux souvenirs dormant au fond de nous,
Qu’un site nous conserve et qu’il nous rend plus doux.
Là mon cœur en tout lieu se retrouve lui-même ;
Tout s’y souvient de moi, tout m’y connaît, tout m’aime !
Mon œil trouve un ami dans tout cet horizon ;
Chaque arbre a son histoire et chaque pierre un nom.
Qu’importe que ce nom, comme Thèbe ou Palmyre,
Ne nous rappelle pas les fastes d’un empire,
Le sang humain versé pour le choix des tyrans,
Ou ces fléaux de Dieu que l’homme appelle grands ?
Ce site où la pensée a rattaché sa trame,
Ces lieux encor tout pleins des fastes de notre âme,
Sont aussi grands pour nous que ces champs du destin
Où naquit, où tomba quelque empire incertain :
Rien n’est vil ! rien n’est grand ! l’âme en est la mesure.
Un cœur palpite au nom de quelque humble masure,
Et sous les monuments des héros et des dieux
Le pasteur passe et siffle en détournant les yeux.

Voilà le banc rustique où s’asseyait mon père,
La salle où résonnait sa voix mâle et sévère,