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cule de la journée qui allait finir, ma mère se séparait un moment de nous. Elle nous laissait, soit dans le petit salon, soit au coin du jardin, à distance d’elle. Elle prenait enfin son heure de repos et de méditation à elle seule. C’était le moment où elle se recueillait avec toutes ses pensées rappelées à elle et tous ses sentiments extravasés de son cœur pendant le jour, dans le sein de Dieu, où elle aimait tant à se replonger. Nous connaissions, tout jeunes que nous étions, cette heure à part qui lui était réservée entre toutes les heures. Nous nous écartions tout naturellement de l’allée du jardin où elle se promenait, comme si nous eussions craint d’interrompre ou d’entendre les mystérieuses confidences d’elle à Dieu et de Dieu à elle ! C’était une petite allée de sable jaune tirant sur le rouge, bordée de fraisiers, entre des arbres fruitiers qui ne s’élevaient pas plus haut que sa tête. Un gros bouquet de noisetiers était au bout de l’allée d’un côté, un mur de l’autre. C’était le site le plus désert et le plus abrité du jardin. C’est pour cela qu’elle le préférait, car ce qu’elle voyait dans cette allée était en elle et non dans l’horizon de la terre. Elle y marchait d’un pas rapide, mais très-régulier, comme quelqu’un qui pense fortement, qui va à un but certain, et que l’enthousiasme soulève en marchant. Elle avait ordinairement la tête nue ; ses beaux cheveux noirs à demi livrés au vent, son visage un peu plus grave que le reste du jour, tantôt légèrement incliné vers la terre, tantôt relevé vers le ciel, où ses regards semblaient chercher les premières étoiles qui commençaient à se détacher du bleu de la nuit dans le firmament. Ses bras étaient nus à partir du coude ; ses mains étaient tantôt jointes comme celles de quelqu’un qui prie, tantôt libres et cueillant par distraction quelques roses ou quelques mauves violettes, dont les hautes