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mer sans laquelle aucun site n’est complet pour moi ; l’infini visible qui fait sentir aux yeux les bords du temps et entrevoir l’existence sans bords. Ischia, comme tu le verras en lisant ces pages, m’a toujours été cher à un autre titre. C’est la scène de deux des plus tendres réminiscences de ma vie : l’une suave et juvénile comme l’enfance ; l’autre grave, forte et durable comme l’âge d’homme. On aime les lieux où l’on a aimé. Ils semblent nous conserver notre cœur d’autrefois et nous le rendre intact pour aimer encore.

Un jour donc de l’été de 1843, j’étais seul, étendu à l’ombre d’un citronnier, sur la terrasse de la maisonnette de pêcheur que j’occupais, à regarder la mer, à écouter ses lames qui apportent et remportent les coquillages bru issants de ses grèves, et à respirer la brise que le contre-coup de chaque flot faisait jaillir dans l’air, comme l’éventail humide qu’agitent les pauvres nègres sur le front de leurs maîtres dans nos tropiques. J’avais fini de dépouiller, la veille, les mémoires, les manuscrits et les documents que j’avais apportés pour l’Histoire des Girondins. Les matériaux me manquaient. J’avais rouvert ceux qui ne nous manquent jamais, nos souvenirs. J’écrivais sur mon genou l’histoire de Graziella, ce triste et charmant pressentiment d’amour que j’avais rencontré autrefois dans ce même golfe, et je l’écrivais en face de l’île de Procída, en vue de la ruine de la petite maison dans les vignes et du jardin sur la côte, que son ombre semblait me montrer encore du doigt. Je voyais sur la mer s’approcher une barque à pleine voile, dans des flots d’écume, sous un soleil ardent. Un jeune homme et une jeune femme cherchaient à abriter leurs fronts sous l’ombre du mât.

La porte de la terrasse s’ouvrit. Un petit garçon d’Is-