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sombres et presque toujours nébuleux, d’où surgit, tantôt éclairé par un rayon de soleil orangé, tantôt du milieu des brouillards, un vieux château en ruine, enveloppé de ses tourelles et de ses tours. C’est le trait caractéristique de ce paysage. Si l’on enlevait cette ruine, les brillants reflets du soir sur ses murs, les fantasques tournoiements des fumées de la brume autour de ses donjons disparaîtraient pour jamais avec elle. Il ne resterait qu’une montagne noire et un ravin jaunatre. Une voile sur la mer, une ruine sur une colline, sont un paysage tout entier. La terre n’est que la scène ; la pensée, le drame et la vie pour l’œil sont dans les traces de l’homme. Là où est la vie, là est l’intérêt.

Le derrière de la maison donne sur le jardin, petit enclos de pierres brunes d’un quart d’arpent. Au fond du jardin, la montagne commence à s’élever insensiblement, d’abord cultivée et verte de vignes, puis pelée, grise et nue comme ces mousses sans terre végétale qui croissent sur la pierre et qu’on n’en distingue presque pas. Deux ou trois roches ternes aussi tracent une légère dentelure à son sommet. Pas un arbre, pas même un arbuste ne dépasse la hauteur de la bruyère qui la tapisse. Pas une chaumière, pas une fumée ne l’anime. C’est peut-être ce qui fait le charme secret de ce jardin. Il est comme un berceau d’enfant que la femme du laboureur a caché dans un sillon du champ pendant qu’elle travaille. Les deux flancs du sillon cachent les bords du ruisseau, et quand le rideau est levé, l’enfant ne peut voir qu’un pan du ciel entre deux ondulations du terrain.

Quant au jardin en lui-même, il n’en a guère que le nom. Il n’eût pu compter pour un jardin qu’aux jours