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tête et sans que la plume se suspendît une seule fois sur le papier pour attendre la chute du mot à sa place. C’était l’histoire domestique de la journée, les annales de l’heure, le souvenir fugitif des choses et des impressions, saisi au vol et arrêté dans sa course, avant que la nuit l’eût fait envoler : les dates heureuses ou tristes, les événements intérieurs, les épanchements d’inquiétude et de mélancolie, les élans de reconnaissance et de joie, les prières toutes chaudes jaillies du cœur à Dieu, toutes les notes sensibles d’une nature qui vit, qui aime, qui jouit, qui souffre, qui bénit, qui invoque, qui adore, une âme écrite enfin !…

Ces notes jetées ainsi à la fin des jours sur le papier comme des gouttes de son existence, ont fini par s’accumuler et par former, à sa mort, un précieux trésor de souvenirs pour ses enfants. Il y en a vingt-deux volumes. Je les ai toujours sous la main, et quand je veux retrouver, revoir, entendre l’âme de ma mère, j’ouvre un de ces volumes, et elle m’apparaît.

Or, tu sais combien les habitudes sont héréditaires. Hélas ! pourquoi les vertus ne le sont-elles pas aussi ?… Cette habitude de ma mère fut de bonne heure la mienne. Quand je sortis du collège, elle me montra ces pages et elle me dit :

« Fais comme moi : donne un miroir à la vie. Donne une heure à l’enregistrement de tes impressions, à l’examen silencieux de ta conscience. Il est bon de penser, le jour, avant de faire tel ou tel acte : « J’aurai à en rougir ce soir devant moi-même en l’écrivant. » Il est doux aussi de fixer les joies qui nous échappent ou les larmes qui tombent de nos yeux, pour les retrouver, quelques années après, sur ces pages, et pour se dire : « Voila donc de quoi j’ai été heureux ! Voilà donc de