Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II


Nous partons, nous chassons devant nous le troupeau commun dont la longue file suit à pas inégaux les sentiers tortueux et arides des premières collines. Chacun de nous, à tour de rôle, va ramener les chèvres à coups de pierres quand elles s’égarent et franchissent les haies. Après avoir gravi les premières hauteurs nues qui dominent le village, et qu’on n’atteint pas en moins d’une heure au pas des troupeaux, nous entrons dans une gorge haute, très-espacée, ou l’on n’aperçoit plus ni maison, ni fumée, ni culture.

Les deux flancs de ce bassin solitaire sont tout couverts de bruyères aux petites fleurs violettes, de longs genêts jaunes dont on fait les balais ; çà et là quelques châtaigniers gigantesques étendent leurs longues branches à demi nues. Les feuilles brunies par les premières gelées pleuvent autour des arbres au moindre souffle de l’air. Quelques noires corneilles sont perchées sur les rameaux les plus secs et les plus morts de ces vieux arbres ; elles s’envolent en croassant à notre approche. De grands aigles ou éperviers, très-élevés dans le firmament, tournent pendant des heures au-dessus de nos têtes, épiant les alouettes dans les genêts ou les petits chevreaux qui se rapprochent de leurs mères. De grandes masses de pierres grises, tachetées et un peu jaunies par les mousses, sortent de terre par groupes sur les deux pentes escarpées de la gorge.

Nos troupeaux, devenus libres, se répandent à leur fantaisie dans les genêts. Quant à nous, nous choisissons