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années, qui ne servent qu’a mûrir sa physionomie et à accomplir sa beauté.

Cette beauté, bien qu’elle soit pure dans chaque trait si on les contemple en détail, est visible surtout dans l’ensemble par l’harmonie, par la grâce et surtout par ce rayonnement de tendresse intérieure, véritable beauté de l’âme qui illumine le corps par dedans, lumière dont le plus beau visage n’est que la manifestation en dehors. Cette jeune femme, à demi renversée sur des coussins, tient une petite fille endormie, la tête sur une de ses épaules. L’enfant roule encore dans ses doigts une des longues tresses noires des cheveux de sa mère avec lesquelles elle jouait tout à l’heure avant de s’endormir. Une autre petite fille, plus âgée, est assise sur un tabouret au pied du canapé ; elle repose sa tête blonde sur les genoux de sa mère. Cette jeune femme, c’est ma mère ; ces deux enfants sont mes deux plus grandes sœurs. Deux autres sont dans les deux berceaux.

Mon père, je l’ai dit, tient un livre dans la main. Il lit à haute voix. J’entends encore d’ici le son mâle, plein, nerveux et cependant flexible de cette voix qui roule en larges et sonores périodes, quelquefois interrompues par les coups de vent contre les fenêtres. Ma mère, la tête un peu penchée, écoute en rêvant. Moi, le visage tourné vers mon père et le bras appuyé sur un de ses genoux, je bois chaque parole, je devance chaque récit, je dévore le livre dont les pages se déroulent trop lentement au gré de mon impatiente imagination. Or quel est ce livre, ce premier livre dont la lecture, entendue ainsi a l’entrée de la vie, m’apprend réellement ce que c’est qu’un livre, et m’ouvre, pour ainsi dire, le monde de l’émotion, de l’amour et de la rêverie ?