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quand le sommeil me gagnait, remonter le grand escalier et traverser les longues salles sonores comme le vide qui conduisaient à ma chambre ; m’endormir sur les pages d’un philosophe ou d’un poëte, pour recommencer au réveil les mêmes journées et les mêmes nuits : voilà ma vie toutes les fois que je pouvais venir passer les plus insensibles mais les plus rapides mois de ma jeunesse dans cette solitude, monastère de liberté, de douce paresse, de nonchalance, de lecture, de rêverie et d’amitié ! Les meilleures ombres de ces arbres qui verdissent encore ont tapissé le sol des jardins pour moi. Les circonstances et l’éloignement m’ont forcé, après la mort de mon oncle, de vendre les ombres que versaient ces arbres et les murmures que répandaient ces eaux. Puissent-ils être aussi hospitaliers et aussi doux à d’autres générations !

J’habitais surtout ces grands hêtres qui couvrent la fontaine du Fayard, toujours couverte de merles qui venaient boire et que je n’effrayais pas. Ils sont si chargés de rameaux, et ces rameaux ramifiés encore par filaments sont si chargés de feuilles, qu’on aperçoit à peine, à travers le réseau de leur ramure, l’étang limpide qui brille en bas sous les peupliers. Oh ! que ne peut-on emporter avec soi, en changeant de séjour, ces sites de prédilection ! j’aurais emporté celui-là !

C’est là que j’ai bu la solitude jusqu’à l’ivresse, jamais jusqu’à la satiété.