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Cormatin, dans les ténèbres et par les chemins de montagnes ; il attachait l’animal à une grille du parc, franchissait la clôture, se glissait sous les murs et dans les fossés du château pour faire acte d’amour, obtenir un regard, une fleur tombée d’une fenêtre et dérober quelques minutes d’entretien à voix basse à travers le vent et la neige qui emportaient souvent ses soupirs et ses paroles ; puis il remontait les parois du fossé, franchissait de nouveau le mur, dévorait la distance, et, rentré au château de Pierreclos avant le jour, il reparaissait à sept heures du matin au salon de son père, ayant parcouru ainsi seize lieues de pays sur le même cheval, entre le lever de la lune et le lever du soleil, pour évaporer un seul soupir de son cœur. J’ai rencontré plusieurs fois moi-même, en rentrant à la maison par les soirées d’automne, le cheval blanc dont le galop rapide faisait étinceler, la nuit, les pierres roulantes du chemin de Milly.

Tant d’amour eut sa récompense ; le vieux comte, informé par un garde-chasse des courses nocturnes de son fils, lui pardonna une passion expliquée par tant de charmes : les deux amants s’épousèrent. La jeune comtesse Nina de Pierreclos, célèbre par sa beauté et par ses talents dans tout le pays, fit du château de Cormatin un séjour d’attrait, d’art et de délices. J’étais devenu alors un des amis les plus intimes de son mari ; j’étais l’hôte assidu de cette belle demeure, et j’y ai passé des heures de jeunesse qui ont rendu ce château, maintenant en d’autres mains, à la fois cher et triste à mon souvenir.