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encore émigré ; le second, avec lequel la chasse, le voisinage et le plaisir me lièrent depuis, avait environ vingt-cinq ans. Deux des filles du comte étaient déjà mariées ; les trois plus jeunes faisaient la grâce et l’attrait de sa maison. Elles étaient toutes très-jolies, quoique de beautés diverses ; leur père les aimait, mais il croyait que leur part dans sa fortune et son nom leur suffisait ; elles étaient les belles servantes de leur père, surintendantes chacune d’une partie de sa domesticité. Leur père n’était pas seulement un père pour elles, mais une espèce de dieu absolu, servi et adoré jusque dans sa mauvaise humeur. Le fils excellait à monter à cheval ; il était brave comme un chevalier, seule vertu que le vieux père exigeât de sa race. Son esprit eût été supérieur s“il eût été cultivé ; son cœur était noble, généreux, aventurier : véritable nature vendéenne qui n’attacha à lui. Dans le temps dont je parle, il était amoureux, à l’insu de son père, d’une jeune personne d’une rare beauté, qu’il épousa depuis et qui était digne, par sa merveilleuse séduction, d’être l’héroïne de bien des romans. Elle était fille d’un général qui s’était rendu célèbre dans les derniers troubles et dans la pacification de la Vendée. Bonaparte l’avait exilé dans une terre qu’il possédait en Bourgogne, au château de Cormatin, ancienne et splendide résidence du maréchal d’Uxelles. Le château de Cormatin est à huit lieues du château de Pierreclos. Le jeune amant possédait un admirable cheval arabe nommé l’Éclipse, qui lui avait coûté au moins la moitié de sa légitime. Quand son père avait terminé sa partie d’après souper, à laquelle le jeune homme était tenu d’assister, il s’échappait, sellait lui-même son coursier, pour que les domestiques ne révélassent pas son absence ; il montait à cheval, il allait d’un seul trait à