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lier de Sennecey, le plus jeune et le plus gracieux vieillard que j’aie jamais vu dans ma vie. Il était l’amour, l’adoration de toute la ville, et greffé pour ainsi dire par sa bienveillance tendre et universelle sur toutes les familles, dont il semblait être membre par le cœur, bien qu’il y fût tout à fait étranger par la parenté. Il avait été l’ami et le mentor de mon père dans ses plus jeunes années. Il avait plus de quatre-vingts ans. Il n’avait jamais été marié. Il vivait seul d’une rente viagère de quelques mille livres, dans une médiocrité élégante et dans ce luxe d’arrangement et de bien-être habituel aux célibataires. Il avait été très-beau et il était encore, car c’était une de ces beautés de sentiment qui subsistent tant que le cœur envoie un rayon de bonté sur la figure. Riche, indépendant, recherché du grand monde, aimé des femmes dans sa jeunesse, il avait généreusement et noblement prodigué de bonne heure une assez grande fortune à ses amitiés, à ses amours, à ses voyages. Il s’était arrêté à temps sur les limites où la fortune qui finit touche à la ruine qui commence. Il avait placé le peu qui lui restait à fonds perdu. Il s’était arrangé une jolie retraite dans un petit appartement, sur un petit jardin, au centre de la ville. Il y vivait, le matin, dans sa bibliothèque, sauvée tout entière de ses désastres ; le jour, en visite chez ses innombrables amis ; le soir, dans les salons ouverts de la ville ; l’été et l’automne, dans les maisons de campagne des environs. Il s’appelait Blondel. Il avait une chambre marquée de son nom dans tous les châteaux, un couvert à toutes les tables dans les réunions de famille. C’étaít l’hôte recherche de tout le monde. Les enfants mêmes le connaissaient.

Il m’avait aimé tout petit. Quand je revins de collège,