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un testament à triple sceau. Les yeux seuls étaient entr’ouverts plus pour observer les pensées d’autrui que pour laisser lire dans les siens. Son attitude était gênée et contrainte : on voyait qu’il se sentait mal à sa place dans un monde supérieur à lui par la fortune et par la naissance. Ses habits étaient pauvres, négligés, presque sordides ; il paraissait susceptible et fier naturellement ; mais, comme le cynique d’Athènes visitant Platon, il foulait le tapis d’orgueil du maître par un orgueil plus grand encore. Tout son passé était une énigme. On ne savait ni quelle était sa famille, ni quelle était sa patrie. On savait seulement qu’il vivait l’hiver dans une mansarde d’un quartier pauvre de Mâcon, ayant pour toute société un chien, une chèvre et quelques livres. La chèvre le nourrissait, le chien l’aimait, les livres l’entretenaient des siècles et du monde. L’hiver écoulé, il allait vivre dans un village des montagnes du Mâconnais, appelé Bussières, à côté de Milly, chez deux demoiselles d’un âge déjà mûr, aussi solitaires et aussi étranges que lui. Personne n’entrait jamais ni dans leur petite maison aux volets toujours demi-clos, ni dans leur jardin entouré de hautes murailles. Quand je passais à cheval par un petit sentier qui longeait cet enclos, et que je m’élevais sur mes étriers pour voir dans le jardin, j’apercevais quelquefois ces trois sauvages civilisés groupés avec leurs animaux, ramassant de l’herbe pour la chèvre, ou lisant au soleil sur le gazon d’une allée. On avait une impression de mystère inexplicable en regardant cette maison. Était-ce une parenté ? Était-ce une liaison ? Était-ce une secte ? Les voisins, même les plus rapprochés et les plus curieux, n’ont jamais pu le deviner.

Ce vieillard s’appelait M. de Valmont. Il parlait rarement, mais il parlait avec une maturité de sens, une con-