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caractère et de situation envers ma mère et envers nous, par des sentiments et par des bienfaits qui nous ont donné dans ces tantes et dans ces oncles de secondes mères et de seconds pères.


XXVII


Après cette rude séance, qui se prolongeait une heure ou deux, et dont nous comptions les lentes minutes sur le cadran de la cheminée, dont l’aiguille nous semblait paralysée, ma mère rentrait chez elle avec ses filles pour assister aux leçons de leurs maîtres, ou bien elle recevait à son tour les visites incessantes des personnes de la ville, qui préféraient sa maison et son entretien gracieux et tendre à l’austérité un peu trop majestueuse de 1’hôtel de la vieille famille. Mon père allait faire sa partie d’échecs, de trictrac ou de boston chez quelque douairière de l’ancienne génération de Mâcon, ou chez quelque officier de son régiment, marié et retiré comme lui, depuis l’émigration, dans sa ville natale. Quant à moi, je remontais dans ma chambre, ou j’allais me promener seul et mélancolique dans les sentiers déserts qui coupent les champs, derrière l’hôpital. On voit de la les toits de la ville, le cours de la Saône, ses prairies ai perte de vue, semblables aux steppes du Danube sortant de la Servie pour entrer en Hongrie, et enfin le Jura et les Alpes ; les Alpes, d’où mon regard ne pouvait se détacher, comme ceux du prisonnier ne peuvent se détacher du mur derrière lequel il a goûté le soleil, l’amour et la liberté.