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intelligence. Ce conflit intérieur, qui a duré quatre-vingt-dix ans en elle, avec toute la ténacité d’un esprit jeune, aigrissait souvent son humeur. Elle avait souvent des révoltes dans la foi et des remords dans le doute. Mal partout, parce qu’elle n’était tout entière ni dans sa raison ni dans sa foi.

Cette situation de son esprit ne la rendait pas plus tolérante pour cela en matière de dévotion, de cérémonies religieuses, de sermons à entendre, de carêmes à suivre, d’abstinences à observer, de livres orthodoxes ou non orthodoxes à lire. Elle avait la sévérité tracassière d’un docteur ou d’un casuiste sur toutes choses, matières ordinaires de la conversation intime de l’après dîner dans le salon de mon oncle, pendant la visite obligée à la famille. Le ton de cette conversation était souvent aigre et blessant de sa part vis-a-vis de notre mère. C’étaient des leçons, des allusions, des insinuations, des reproches, des ironies amères et provocantes sur les plus futiles sujets ; tantôt sur la religion trop facile et trop séduisante que notre mère faisait aimer au lieu de la faire redouter de ses filles ; tantôt sur leur éducation trop élégante ; tantôt sur leur parure trop soignée ; tantôt sur la dépense de notre maison, qui dépassait, disait-on, les ressources bornées de mon père ; tantôt sur les personnes de condition trop plébéienne que nous y recevions ; tantôt sur les livres d’instruction trop peu épurés qu’on y lisait ; tantôt sur l’excès de tolérance d’opinions qu’on y pratiquait ; tantôt sur les faiblesses de mon père et de ma mère à mon égard, sur les absences fréquentes qu’elle me permettait, sur les séjours à Paris ou sur les voyages à l’étranger qu’elle favorisait de ses épargnés au-dessus de nos forces. Notre mère écoutait d’abord avec une patience souriante et véritablement surhumaine, tout