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la justice, et que son excès c’est la conscience), il est même obligé de réduire la petite pension de douze cents francs qu’il t’allouait pour ton entretien et pour tes courses. Ne fais pas semblant d’en souffrir, et va toi-même au-devant de cet indispensable retranchement. J’y pourvoirai autant que je le pourrai, et madame Paradis sera encore là.

« J’avais espéré jusqu’ici que la famille de ton père comprendrait ce besoin d’activité qui dévore ta jeunesse, et qu’elle se prêterait aux sacrifices nécessaires pour te faire entrer et pour te soutenir quelques années dans le noviciat des fonctions administratives ou diplomatiques. Je n’ai rien pu gagner la-dessus. C’est en vain que j’ai raisonné, prié, conjuré, pleuré ; c’est en vain que je me suis humiliée devant eux, comme il est glorieux et doux à une mère de s’humilier pour son fils. Tout a été vain ; il n’y faut pas penser. Ils sont bons, ils sont tendres, ils te chérissent comme leur fils, ils te destinent leur patrimoine après eux ; mais leur tendresse qui a un cœur dans le lointain n’a point de discernement dans le présent. Ils sont âgés, ils ne peuvent se transporter de leurs habitudes d’esprit dans les nôtres. Ils ne peuvent se souvenir qu’ils ont eu ton âge ; ils ne peuvent comprendre qu’un jeune homme qui a le toit, la table, le jardin et la société de sa maison paternelle, ait encore d’autres désirs, et que ses aspirations dépassent les murs de la petite ville ; ils appellent cela chimères et fantaisies d’un esprit malade ; ils ne conçoivent pas d’autre ambition pour toi que cette existence oisive et monotone dans une rue de Mâcon, quelques promenades le jour, un salon de siècles attablés autour d’un tapis de boston le soir, un mariage de voisinage ou de convenance dans quelques années, et une terre de la famille à habiter