Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’asseoir près de la lucarne un peu en arrière, de manière à voir sans être vue. Elle contemplait de là, à travers ses pleurs, le toit de la prison où était enlevé à sa tendresse et dérobé à ses yeux celui qu’elle aimait. Deux regards, deux pensées qui se cherchent à travers l’univers finissent toujours par se retrouver. A travers deux murs et une rue étroite, leurs yeux pouvaient-ils manquer de se rencontrer ? Leurs âmes s’émurent, leurs pensées se comprirent, leurs signes suppléèrent leurs paroles, de peur que leur voix ne révélât aux sentinelles, dans la rue, leurs communications. Ils passaient ainsi régulièrement plusieurs heures de la journée assis l’un en face de l’autre. Toute leur âme avait passé dans leurs yeux. Ma mère imagina d’écrire en gros caractères des lignes concises contenant en peu de mots ce qu’elle voulait faire connaître au prisonnier. Celui-ci répondait par un signe. Dès lors les rapports furent établis. Ils ne tardèrent pas à se compléter. Mon père, en qualité de chevalier de l’arquebuse, avait chez lui un arc et des flèches avec lesquels j’ai bien souvent joué dans mon enfance. Ma mère imagina de s’en servir pour communiquer plus complètement avec le prisonnier. Elle s’exerça quelques jours dans sa chambre a tirer de l’arc, et quand elle eut acquis assez d’adresse pour être sûre de ne pas manquer son but à quelques pieds de distance, elle attacha un fil à une flèche, et lança la flèche et le fil dans la fenêtre de la prison. Mon père cacha la flèche, et, tirant le fil a lui, il amena une lettre. On lui fit passer, par ce moyen, à la faveur de la nuit, du papier, des plumes, de l’encre même. Il répondait à loisir. Ma mère, avant le jour, venait retirer de son côté les longues lettres dans lesquelles le captif épanchait sa tendresse et sa tristesse, interrogeait, con-