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Par la première, on entrait dans une vaste salle boisée de panneaux sculptés et peints en gris à la détrempe. C’était la grande artère de la maison, l’antichambre du salon, la salle à manger, la salle d’études pour les maîtres de dessin, de musique ou de danse de mes sœurs, la salle de travail où les femmes de chambre raccommodaient le linge. Elle était garnie d’un poële encaissé sous une grande niche, d’une table ovale pour les repas, d’armoires, de buffets, d’un piano, de deux harpes, de petites consoles pour dessiner, pour écrire et pour coudre. Une sombre pendule de Boule à caisse d’écaille noire incrustée d’arabesques de laiton, et surmontée d’une statuette du Temps brandissant sa faux, y sonnait mélancoliquement les heures à cette jeunesse qui ne les écoutait pas.

A droite, on passait dans un salon moins vaste et plus recueilli. Une antique et haute cheminée de marbre noirâtre richement fouillé par le ciseau du sculpteur, et dont les jambages l’écorçaient en feuilles d’acanthe, ouvrait aux bûches un foyer assez large et assez profond pour des troncs entiers de chêne. Le fauteuil de mon père en face de la cheminée, quelques fauteuils de velours d’Utrecht rouge, une table ronde couverte de livres, quelques tables de jeu recouvertes de serge verte, des carreaux rouges et cirés sous les pieds, un plafond à riches moulures, mais noirci par la fumée d’un demi siècle, les rideaux verts de deux fenêtres ouvrant sur la rue, formaient tout l’ornement de ce salon. On n’y allumait le feu qu’un moment avant le dîner de famille. On dînait alors à deux heures ; La pièce qui faisait face au salon quand on avait traversé la grande salle était la chambre d’une tante infirme, sœur de mon père, dont je parlerai tout à l’heure. Elle s’appelait mademoiselle de Monceau.