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familiers et dont leur mémoire d’enfant n’eût retenu jusqu’aux plus insignifiants détails.

Mon père, jeté tout à coup dans cette prison, s’y trouva donc en pays connu. Pour comble de bonheur, le geôlier, républicain très-corruptible, avait été, quinze ans auparavant, cuirassier dans la compagnie de mon père. Son grade nouveau ne lui changea pas le cœur. Accoutumé à respecter et à aimer son capitaine, il s’attendrit en le revoyant, et quand les portes des Ursulines se refermèrentraur le captif, ce fut le républicain qui pleura.

Mon père se trouva là en bonne et nombreuse compagnie. La prison renfermait environ deux cents détenus sans crime, les suspects du département. Ils étaient entassés dans des salles, dans des réfectoires, dans des corridors du vieux couvent. Mon père demanda pour toute faveur au geôlier de le loger seul dans un coin du grenier. Une lucarne haute, ouvrant sur la rue, lui laisserait du moins la consolation de voir quelquefois à travers les grilles le toit de sa propre demeure. Cette faveur lui fut accordée. Il s’installa sous les tuiles, à l’aide de quelques planches et d’un misérable grabat. Le jour, il descendait auprès de ses compagnons de captivité pour prendre ses repas, pour jouer, pour causer des affaires du temps, sur lesquelles les prisonniers étaient réduits aux conjectures, car on ne leur laissait aucune communication écrite avec le dehors. Mais cet isolement ne dura pas longtemps pour mon père.

Le même sentiment qui l’avait poussé à demander au geôlier une cellule qui eûtjour sur la rue, et qui le retenait des heures entières à regarder le toit de sa petite maison en face, avait aussi inspiré à ma mère la pensée de monter souvent au grenier de sa demeure, de