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XXI


Qui peut les accuser sans accuser plutôt leur destinée ? Qui peut dire à quelle limite indécise entre le respect et l’adoration, entre la confiance et l’abandon, entre l’entraînement et la faiblesse, entre la vertu et l’amour, s’arrêta, dans ses recueillements forcés, le sentiment de ces deux enfants l’un pour l’autre ? Il y faudrait l’œil de Dieu lui-même. Celui des hommes se trouble, s’éblouit et s’humecte devant le mystère d’une telle situation ! S’il y eut faute, il ne peut la voir qu’à travers des larmes, et en condamnant il lave et il absout. Le monde fermé, le ciel ouvert, la pression de la prescription pesant sur leurs cœurs et les refoulant malgré eux l’un contre l’autre, les âges semblables, les costumes pareils, les impressions communes, l’innocence ou l’ignorance égale du danger, la différence des conditions oubliée ou effacée dans cet isolement complet, l’incertitude si la société avec ses convenances et ses rangs se rouvrirait jamais pour eux, la hâte de savourer la liberté menacée à toute heure dont ils jouissaient comme d’un bien dérobé, la brièveté de la vie dans un temps où nul n’avait de lendemain, ces ténèbres de la nuit qui rendent tout plus intime ; ces lueurs de la lune et des étoiles qui enivrent les yeux et qui égarent le cœur ; le resserrement de leur captivité dans la maison de la nourrice, qui ne laissait aucune diversion possible à leurs pensées, aucune interruption à leurs entretiens ; enfin ce point élevé, étroit et comme inaccessible de l’espace, devenu pour eux l’univers tout entier, et qui leur paraissait une île aérienne suspendue au-