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A force de nous rencontrer ainsi à toute heure, nous finîmes par avoir besoin l’un de l’autre. Il comprit qu’il y avait dans l’âme de ce jeune homme des germes intéressants à regarder éclore et se développer. Je compris qu’il y avait dans cet homme mûr et fatigué de vivre une destinée âpre et trompée, comme était la mienne en ce moment ; une âme malade mais forte, auprès de laquelle mon âme se vengerait de ses propres malheurs en s’attachant du moins à un autre malheureux.

Je lui prêtais des livres. J’allais toutes les semaines les louer dans un cabinet de lecture à Mâcon, et je les rapportais à Milly dans la valise de mon cheval. Il me prêtait, lui, les vieux volumes d’histoire de l’Église et de littérature sacrée qu’il avait trouvés dans la bibliothèque de l’évêque de Mâcon. Il avait eu ce legs dans son testament. Nous nous entretenions de nos lectures. Nous nous apercevions ainsi, par la conformité habituelle de nos impressions sur les mêmes ouvrages, de la consonnances de nos esprits et de nos cœurs. Chaque jour, chaque livre, chaque entretien, amenaient une découverte et comme une intimité involontaire de plus entre nous. On s’attache par ce qu’on découvre de semblable à soi dans ceux qu’on étudie. L’amour et l’amitié ne sont au fond que l’image d’un être réciproquement entrevue et doublée dans le cœur d’un autre être. Quand ces deux images se confondent tellement que les deux n’en font plus qu’une, l’amitié ou l’amour sont complets. Notre amitié s’achevait ainsi tous les jours.