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mon âme pendant ce long été dans le désert. Je n’écrivais rien ; je laissais passer toutes ces sensations et toutes ces modulations en moi-même, comme les brises sur les herbes de la montagne, sans s’inquiéter des vagues soupirs qu’elles leur font rendre, ni des parfums évaporés qu’elles leur enlèvent en passant.

Les soupirs et les parfums de mon cœur juvénile ne me paraissaient pas mériter d’être recueillis. J’en étais même arrivé à ce point de découragement et de sécheresse que je jouissais avec une sorte d’amertume de la sensation de vivre, de penser, de sentir en vain ; comme ces fleurs qui croissent dans les sites inaccessibles des Alpes, qui végètent sans qu’aucun regard les voie fleurir, et qui semblent accuser la nature de n’avoir ni plan ni pitié dans ses créations.


VII


Une circonstance me confirmait encore dans ces découragements de cœur et dans ces mépris pour le monde. C’était la société et les entretiens avec un autre solitaire aussi sensible, plus âgé et plus malheureux que moi. Cette société était la seule diversion que j’eusse quelquefois à mon isolement. D’abord rencontre, puis habitude, cette fréquentation se changeait de jour en jour davantage en amitié. Le hasard semblait avoir rapproché deux hommes d’âge et de condition différents, mais qui se ressemblaient par la sensibilité, par le caractère et par la conformité de tristesse, de solitude d’âme et de découragement du bonheur. L’un de ces hommes, c’était moi ; l’autre, c’était le pauvre curé du village de Bus-