Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femme nous ouvrit, comme si les maîtres, absents d’hier, avaient dû rentrer le soir. L’image charmante de madame de Warens et de Jean-Jacques Rousseau enfant peuplaient pour nous les trois petites chambres du rez-de-chaussée. Nous cherchions la place où ils s’asseyaient. Nous parcourûmes l’étroit jardin, nous nous assîmes au bout de l’allée, sous la petite tonnelle de chèvrefeuille et de vigne vierge où se fit le premier aveu d’un pur amour, depuis si profane. Vignet, quoique chrétien par la volonté, avait dans le cœur le même enthousiasme que moi pour Jean-Jacques Rousseau, ce seul écrivain du dix-huitième siècle dont le génie fût une âme. Nous passâmes une partie du jour dans ce jardin inondé de parfums et de soleil, comme si les plantes et les arbres se fussent réjouis de recevoir des hôtes dignes d’aimer leurs anciens maîtres. Nous n’en redescendîmes qu’au coucher du soleil, et nous redescendîmes ainsi.

Je sentais combien ce jeune homme, né près du berceau de Rousseau, inspiré comme lui, pauvre et malheureux comme lui, mais plus pur et plus religieux que lui, était au-dessus de ceux que j’appelais mes amis, et que je devais aux Charmettes bien autre chose qu’un vain souvenir de grand homme, l’amitié d’un homme de bien. Mon cœur ne demandait qu’à admirer.


XXVIII


Vignet m’emmena dans sa maison de Servolex et me présenta à sa famille. Deux des oncles de sa mère vivaient alors à Chambéry ou dans les environs de Servolex. Ils étaient les frères du comte Joseph et du comte